Pourquoi ce choix de nous concentrer sur la formation de l’acteur ? A quoi et jusqu’où l’on forme l’acteur ? Et quel type de rapport instaurer avec les écoles supérieures et la préparation à la formation. Ouvre-t-on plus de voies ? Vers quoi devons-nous orienter les acteurs ? Ne forme-t-on que des acteurs ?
La question de la méthode, ou du positionnement survient comme celle de l’histoire du théâtre et l’histoire de la formation de l’acteur.
Nos 3 invités vont nous situer l’histoire/ le temps présent/ La transformation du monde à travers le théâtre, ainsi que la question des moyens humains/physiques/financiers connectés à la réalité des territoires.
Bruno Tackels sur un travail de recherche et de synthèse sur la question des maîtres.
Nathanaël Harcq directeur de l’école ESACT à Liège.
Stéphane Poliakov prof à Paris 8 qui travaille sur Stanislavski et un travail de retraduction de Stanislavski aujourd’hui.
Bruno Tackels
J’essaie de faire le lien entre la pensée et le plateau, de rajouter la cohérence en creusant des questions qui encouragent la mobilisation. Le terme de maître est lié à celui de méthode.
Le terme de méthode. Mot proche qui s’est éloigné de nous. Tous le XXe siècle s’est mis à trembler sur les principes et en particulier sur la notion du maître.
Le maître en haut et des gens qui travaillent autour. Le maître c’est aussi la dimension protectrice.
Au XXe siècle, le terme n’est plus employé. Il y a le terme Maître et tout de suite derrière arrive le mot de gourou. Vassiliev et Mnouchkine accompagnent la mise en crise de la figure du maître parce qu’ils sont des maîtres qui en décousent avec une notion en déliquescence.
Par exemple quand Vassiliev est en crise avec sa propre méthode, il profite de passer la frontière et venir en France autour du projet de former des metteurs en scène à l’ENSATT pour questionner sa propre méthode. On lui dit violemment que ça ne marche pas mais on ne propose pas d’alternative à la place. On critique, mais on ne propose pas d’alternative.
La mise en crise des maîtres n’est pas leur évacuation pure et simple. Que maintient la mise en crise ? C’est l’exigence d’une méthode et des principes qui viennent porter cette méthode. J’ai une mission du ministère celle de réaffirmer qu’il y a au ministère une recherche en art. Mais ici je parle en mon nom propre, et nous devons nous questionner et nourrir la réflexion.
Il faut aussi que l’on accepte les temps de la non-création. Il faut accepter qu’il y ait un temps en dehors de la production.
Quand Mnouchkine se met en recherche. Elle opère un filtrage cruel. Le rideau est un miroir pour elle. Elle invente donc une Ecole nomade. Elle a terminé le Macbeth. Elle a senti le besoin de mettre en jachère le théâtre qui est en vacance, elle s’est concentrée sur une formule nomade. Ville de Santiago. Elle a façonné la ville avec des phénomènes étranges à analyser avec son théâtre qui a concerné 400 jeunes gens venus de toute l’Amérique latine. Elle a fait entrer cinquante personnes qui ont travaillé à Santiago par skype pour ne pas les déplacer. La deuxième étape a été Oxford. Après Oxford ce sera bientôt l’Indes. Elle a demandé aux acteurs donc 70 personnes de se déplacer à Ponticeri parce que cette école lui semblait essentielle pour ressourcer ses comédiens. Donc toute la Cartoucherie a été déplacée là-bas.
Elle cherche d’abord des acteurs, travailler avec eux et en faire surgir le projet. Vassiliev fait pareil. Les maîtres cherchent un type d’acteur qu’ils forment à leur type de théâtre.
Même chose pour Castelluci ou Rodrigo Garcia. Et ce sont des gens qui fouillent le passé pour en ressortir des formes nouvelles. Et l’on ne peut pas non plus comprendre leur œuvre si on ne sait pas d’où ils viennent.
L’enseignement supérieur devrait se réunir comme vous vous réunissez. On ne peut pas travailler à un niveau si les autres niveaux ne le font pas. Il faudrait que les gens aux LMD (licence master et doctorat) se réunissent. Il faudrait penser ces niveaux. Quand vous avez une influence forte sur un niveau, ça vient rattraper l’ensemble du système. Il faut le reconnecter avec les paramètres de la création. École d’art dramatique, d’acteur. Il faut construire l’école de la scène. Elle manque. Ceux qui se préoccupent de la scène empruntent un geste créateur. On est embêté avec cette question.
Donc on a affaire à un compagnonnage de copiés collés de metteurs en scène, il ne se pose guère la question de la méthode. Une fois qu’on a dit de Vassiliev qu’il n’était pas à sa place, il eut fallu faire une contre-proposition. Mais il avait posé un pion sur la formation et sur l’acte créateur. Il faut le revendiquer. Un mot sur ma matrice c’est Gabyli à Rennes. Il était un immense pédagogue. Un des effets terribles de laisser à l’abandon la méthode c’est l’absence de traces. Par rapport à Gabyli Il y a une femme, son assistante. Elle notait tout.
Il y a une différence entre chercher et faire de la recherche. Mais si on pause l’exigence de la recherche, c’est le geste de l’objectivation. Je définis la posture du dramaturge ce qui suppose que l’art est fait de medium. Schéma, Skype, écrits… le dernier grand geste en France c’est Antoine Vitez. Il faut sortir des cartons et des malles ce qui peut servir. Et la recherche c’et le partage. La recherche suppose la transmissibilité. C’est toute l’histoire de l’école russe. C’est étonnamment collectif. À l’université, on fait sa thèse dans son coin. Mais, dans l’art, c’est évidemment collectif. Il faut penser à l’écrit. Rendre compte par écrit de ce qui se passe au plateau. Je reviens de l’Amérique latine.
Commandant Marcos est mort. Il n’a jamais existé un pur masque de la posture collective qui est dépassé. Il s’est suicidé. Il y a une lettre de cette disparition. Une lettre de suicide. Écran de fumée. Professeurs artistes.
Il y a eu aussi un travail avec les moins de 5 ans. Ils se réunissent le matin lors des ateliers pratiques assistante de Meyerhold Asja Lacis a fait un travail pour enfant prolétarien incroyable. Il faudrait aussi aller voir son travail qui a été complètement oublié. Elle faisait le pari qu’il fallait travailler avec les jeunes orphelins, elle a mis en place un endroit où le travail est un monde, un espace immersif, ils ont formalisé les choses par questionnaire le rendu la réflexion. C’était un matériau méthodologique. La dimension évaluatrice est toujours un problème en art, elle arrive très vite. Le piège est celui d’être avalé par une pensée à laquelle on n’adhère pas. On a du mal avec l’évaluation.
Médiateur : le temps déconnecté de la création. L’action culturelle demande un résultat.
La notion de compagnonnage sur un plan horizontal. Il s’agit de l’évaluer dans son autonomie.
Nathanaël Harcq, le présent de l’école de Liège.
Qu’est-ce qu’une école comme la vôtre ?
Le théâtre est un art archaïque résiduaire; les traces ne témoignent pas de l’œuvre, les traces ne sont jamais l’œuvre. La reproductivité est un problème. Le maître est nécessaire à la transmission de l’histoire, il est celui qui incarne tous les autres pour son étudiant. C’est une ou deux générations. Il y a cette notion-là pour qu’une transmission soit possible. Après nous sommes à un moment d’histoire de nos sociétés où l’on a parlé de la fin de l’Histoire le post dramatique, et l’on est dans une société qui développe l’individualisme. Donc la question du maître est aujourd’hui problématique et critiquée. Cela m’intéresse de positionner les choses comme ça. Chez nous Jacques Delcuvellerie s’est positionné comme maître. École processus et école événementiel, il met l’accent sur les deux. Il y a un troisième plan qui est lié aux deux précédents : l’immense méfiance et désamour des formes. De plus en plus, un acteur qui témoigne de formes qui ne participent pas du réalisme, ou un metteur en scène qui ne participe pas du « comme dans la vie » provoque une suspicion énorme sur tout ce qui tente de décrire le réel. Le réel ne se décrit pas en se représentant tel qu’en lui-même. Si on a eu besoin de transposer, c’est que la transposition est nécessaire. Le rétrécissement de champ de l’acteur est un rétrécissement du champ de l’humain, du champ des sujets. J’essaie de visualiser différents plans. Le théâtre est peut être politique, il peut rendre nécessaire l’incarnation d’autres aspects que celles qui prédominent dans nos vies actuelles. Tensions politiques quand un acteur tend à toucher au tragique racinien par exemple. Et quand on dit Racine comme au bistrot ça ne témoigne pas des capacités de l’humain à être possédé par les émotions convoquées dans l’oeuvre.
Nous avons tenté, dans l’école, de mettre en place des nécessités récurrentes pour nos étudiants des nécessités d’apprentissage. Il y a des projets avec des objectifs pédagogiques précis.
Le grand style tragique, le jeu épique, la farce et les créations personnelles etc…
Il y a une dizaine d’années, on a travaillé avec Thomas Ostermeier. On avait mis en place un concept un peu foireux avec des étudiants en mise en scène de là-bas qui dirigeaient nos comédiens sous le regard Ostermeier. C’était intéressant, mais compliqué.
Le point de passage obligé étant le jeu épique nous montions La mère de Brecht. On est parti des captations et l’on a repris exactement la mise en scène de Brecht au Berliner ensemble. On a copié ça.
Ostermeier il voit ça et dit : “vous faites encore ça ? Mais c’est complètement dépassé, ça fait 70 ans qu’on fait plus ça”. J’étais un peu déstabilisé, je me suis dit quand même Ostermeier qui dit ça… Et bien, on a continué de le faire parce que ça nous a semblé une condition nécessaire pour organiser concrètement la transmission d’un héritage.
Il y a une difficulté à enthousiasmer les jeunes gens, et pour eux à se rendre capable d’hériter. C’est le défi majeur de la transmission d’aujourd’hui. Mais il y a de bonnes raisons objectives à refuser d’hériter. On les comprend. Regardez le monde qu’on leur laisse ! Il y a de quoi refuser d’hériter. Le défi pédagogique c’est comment assumer, se positionner comme des gens qui ont des connaissances et transmettre ça sans enfermer nos étudiants dans l’obligation de reproduire ce que nous en avons fait de nos connaissances. Ça touche tout le monde. L’enjeu majeur à cet endroit est de traduire ça en des modalités concrètes, c’est assez compliqué. Je reviens à la notion du maître. Elle a produit des possibilités d’être un lieu d’acquisition. Quand Jacques Delcuvellerie a dû prendre sa retraite qui était programmée, il a fallu anticiper son départ. Il y a un collège pédagogique. On est une trentaine et on voit tous les projets pédagogiques ensemble. Et tous ensemble, nous en discutons. Et l’artiste pédagogue est donc questionné sur ses choix artistiques. On commence par dire ce que nous pensons du travail artistique du pédagogue. Et de sa pédagogie. Pour nous, la formation se traduit dans la réalisation même d’une œuvre, l’endroit où l’artiste se rend capable de vrai.
Il y a une critique mais c’est une question nécessaire d’abord pour que l’artiste ne fasse pas semblant que c’est juste un endroit de transmission. Y a-t-il transmission sans création ? À notre avis, non.
Quand Jacques n’est plus venu à ces délibérations, il avait tout de même une place particulière. Et il était cassant et direct. Nous avons tous été blessés par les avis des uns et des autres, il y a eu de la violence. Mais ça nous a fait tous bouger énormément. Mais ça participe à la création d’une communauté d’artistes capables de s’entraider. S’entraider ne veut certainement pas dire se caresser dans le sens du poil. Si je dis toujours c’est bien, ça n’aide pas. Il nous a fallu dire les choses sans exploser notre capacité à travailler ensemble. Et très longtemps quand Jacques est parti la place est restée vide. Et moi je bougeais de place. Et parfois quelqu’un s’essayait à prendre cette place-là. Il fallait questionner ce dispositif et donc de questionner la posture de maître. L’absence de maître est une possibilité questionnable, la question est de créer des dispositifs vivants. La reproduction sèche de ce qui existe est mortifère parce que ça produit un endroit de non-pensée, parce qu’il y a un déficit de questions. Un lieu où des questions ne se posent plus.
On vient d’ouvrir un atelier sur les actes et le politique. Nous avions affiché 3 citations de théâtre dans notre école « aimer l’art en vous-même et non vous-même dans l’art » de Stanislavski ; une citation d’Artaud ; une citation de Brecht « vous êtes venu au théâtre, mais pourquoi faire ? » Il y a depuis septembre une nouvelle citation « les problèmes politiques sont les problèmes de tout le monde, les problèmes de tout le monde sont des problèmes politiques ».
Hériter de questions sur lesquelles on est d’accord ce n’est pas simple. Hériter de questions sur lesquelles on n’est pas d’accord non plus, mais c’est un autre problème. On est sur des questions esthétiques sur lesquelles il y a innovation. Ce sont des questions politiques qui ont changé les questions esthétiques. C’est quoi le théâtre politique aujourd’hui ? Ce sont les conditions de productions qui déterminent l’œuvre qui peut advenir. L’identité d’un spectacle concerne sa production.
Le théâtre le plus politique ne se distinguera pas par la question des contenus mais sur les questions de production. Comment créer politiquement du théâtre ? Les conditions de productions sont des endroits qui ne sont pas pensés. Cela participe d’usage normé. Les conditions de production ne sont plus des endroits de créativité. Il faudrait trouver des conditions de productions nécessaires à ce spectacle-là. Il faut changer de manières de travailler ensemble. Ça parle exactement des conditions de production mises en œuvre.
C’est intéressant de penser une école comme un dispositif de production. Chaque projet pédagogique ce qui intéresse assez peu prévus par les ministères. Et créer une dialectique à cet endroit. Je vois l’école comme un lieu de production et j’essaie d’entretenir les contradictions de les animer, de les faire vivre au profit de la vie d’une œuvre.
Les artistes peuvent venir travailler chez nous à se rendre capables d’une œuvre ultérieure. La compagnie de Pommerat est venu créer “Ca ira” chez nous. Je leurs ai posé une foule de questions. Tant que ce qu’on me disait se mettait uniquement au service l’école, je n’avais pas confiance, mais quand j’ai compris que ça pouvait être utiles aux artistes alors j’ai dit oui.
Il a travaillé 5 semaines et ça a été intéressant pour la compagnie Louis Brouillard parce qu’ils étaient habitués à travailler avec des lieux hyper-équipés et la simplicité, ça les a obligés à aller ailleurs, vers d’autres esthétiques possibles.
Il y a la question de l’héritage qui induit la posture de maître. Il y a des dispositifs vivants qui peuvent fonctionner et la singularité créatrice de l’acteur par ce qu’il est lui et lui-même. C’est dans le frottement avec des formes déjà advenues, dans le travail difficile de “le faire sien”, que l’artiste va pouvoir aller dans le questionnement des choix qu’il fait, et qu’il va pouvoir se dire alors « qui suis-je ? ». Nous avons une espèce d’expertise à cet endroit-là. On voit bien que le travail collectif, que les propositions personnelles d’étudiant, ils ont fait des choix. Ces jeunes gens ont fait Brecht et du travail paroxystique sur Racine, ils ont été mis devant des défis qui ne peuvent pas être résolus si l’étudiant ne les rencontre pas. Derrière la critique des formes, derrière le truc du « faire du moi-je », ce qui se raconte c’est un refus de se transformer. Il faut travailler à se rendre capable de désirer se transformer.
Formation initiale, appétit d’hériter, ne pas se considérer pour soi-même comme un territoire connu mais comme un territoire largement inconnu, désirer être dérangé, accepter qu’on touche à soi-même.
Il faut qu’ils se transforment en même temps qu’ils apprennent à jouer de leur propre instrument. Tu apprends à jouer du violon sauf que le violon c’est toi-même. La question centrale c’est celle des vérités, comment ne pas enfermer les étudiants dans les vérités que vous transmettez. Et la multiplication d’artistes différents peut être une réponse. Ce qui est en jeu, c’est la capacité de se représenter, de construire d’autres vérités et de faire des choix.
L’école est le lieu de quoi ? Ce que c’est réellement, le nommer participe d’un changement.
La nécessité d’aller vers le plagiat. C’est nécessaire. J’ai pris une interview de jean Oury dont j’ai fait un flagrant délit de plagiat en plagiant Debord pour aller vers le plagiat nécessaire au progrès. Il y a une responsabilité dans les écoles de rendre nécessaires aux yeux des étudiants des choses qui sont parfois illicites voire même illégales.
Aujourd’hui nous sommes confrontés à l’autocensure. On est confronté aux interdits de ça.
Stéphane Poliakov
Stanislavski
Une traduction d’adaptation de Stanislavski
Je viens de l’Université et je viens aussi du plateau à travers la formation d’Anatoli Vassiliev. J’enseigne à Paris 8. Si je suis là aujourd’hui, c’était dans l’idée de refléter un travail autour de la direction d’acteur réalisé avec le Conservatoire National Supérieur et qui a donné un livre La direction d’acteur peut-elle s’apprendre ? édité par les solitaires intempestifs.
Ce projet employait différents moyens, des ateliers pratiques et la recherche en art par les universitaires. Il était dirigé par Jean-François Dusigne (acteur du théâtre du Soleil et directeur de l’ARTA). Il a inventé une nouvelle façon d’explorer ces questions.
La direction d’acteur est-il le bon terme ? À vrai dire pour moi qui viens du théâtre russe c’est à peu près le même sens que la mise en scène. Jeu de miroir des traditions, Stanislavski est intéressant dans ce qu’il reflète d’un état de l’enseignement du théâtre. Il connaissait très bien le théâtre français de son époque, par conséquent le jeu de Coquelin fin dix-neuvième siècle. C’est l’une des idées que je voudrais avancer comme proposition pour exposer le fil de mon expérience à travers le théâtre russe et son passé avec ses interrogations de l’art de l’acteur. L’école russe a été formée à partir de là, plus que par la question même de la mise en scène. On peut aussi par écho citer les trois distinctions que Nemerovitch Datchenko dans la mise en scène de l’époque : le metteur en scène pédagogue, le metteur en scène miroir et le troisième, le metteur en scène organisateur de spectacle.
Ce qui me semble intéressant, c’est de noter comment les questions de traduction peuvent s’imposer. Le premier livre de Stanislavski s’appelle La formation de l’acteur. En russe, le titre est beaucoup plus long, mais cette traduction me convient. Par contre pour le deuxième livre, on est en plein contresens. La construction du personnage, chez Stanislavski, il n’y a pas de construction du personnage, mais du rôle.
Depuis 1905 c’est à travers une rénovation de la mise en scène, la transmission de la mise en scène, s’est opérée. Meyerhold a nommé « studio » son endroit de travail. Les questions de mise en scène sont des questions posées dans des contextes très différents. En 1918 Meyerhold avait des cours de “scénologie” pour former à la mise en scène et à la scénographie. Le fait de découvrir ce qu’est le studio et transmettre cette idée du studio a un certain intérêt. Je précise que pour Meyerhold il s’agissait d’abord de former de nouveaux acteurs. Il a réuni des acteurs très jeunes et il y avait dans le studio, une place même physique à la construction des scénographies.
Pour Stanislavski, il en était de même, dans la réflexion autour de la mise en scène, la place de la scénographie comprise dans l’espace de recherche. C’est sans doute une projection utopique tolstoienne qui y est liée, un engagement moral et social.
Ces textes de Stanislavski que j’ai approchés en Russie n’a pas été simple. Je me suis confronté à des tas de mots très compliqués, et des concepts (comme les circonstances proposées, l’action transversales et l’action principale, du coup une certaine terminologie spécifique). Je parlais Russe, mais, pour ce type de concepts, ce n’était vraiment pas facile. J’ai donc lu Stanislavski et ça a commencé avec des questions esthétiques qui m’intéressaient. Ces questions de la formation de l’acteur est l’une des sources. Ça a d’abord intéressé des metteurs en scène, des metteurs en scène pédagogues, une volonté assumée de formation. Chez Stanislavski, on parle de système processus lent à partir de son travail d’acteur sur soi, sur lui-même et un processus d’écriture de journaux, de carnets, de mise en scène et un projet de manuel de jeu. Il pensait écrire le livre de chevet de l’artiste dramatique (ça fait un peu dix-neuvième), il ne l’a pas fait. Mais ça a donné lieu à des théorisations très fragmentaires et une transmission orale. Une réflexion sur la psychologie et aussi la psychologie de l’acteur. Dichotomie et unité de Stanislavski sur ces questions qu’il aborde dans une certaine globalité. Il y a une case chez Stanislavski pour le théâtre français qu’il connaissait bien. Le théâtre français, pour lui, c’était (comme le double) l’art de la représentation, alors que lui était sur “le vivant” sur scène. Ce sont des questions de metteurs en scène et dans le côté russe, ces formations ont donné lieu à un programme d’enseignement. Des acteurs et des metteurs en scène qui travaillent sur eux-mêmes, sur leur corps, sur le rôle. Il n’y a pas de construction de personnage chez Stanislavski. Une incarnation scénique, certes, mais pas d’un personnage. Il avait d’ailleurs pensé écrire un troisième volet sur le travail sur le rôle qu’il n’a jamais vraiment terminé et il y a eu des éditions commerciales revisitées plus vendable et plus lisible mais qui ont donné lieu parfois à beaucoup de contresens.
Je mets en œuvre un gros projet de traduction de Stanislavski ou avec une équipe de traducteurs, il s’agit de retraduire Stanislavski directement et non en passant par des traductions anglaises, les choses devraient démarrer à partir de 2016 et engage une collaboration de Paris 8, Paris 10 et le CRNS et aussi avec vous où certains metteurs en scène qui traduisent transmettent, une descendance de Stanislavski née de répétitions au plateau et de la pédagogie. Avant tout Stanislavski part d’observations de plateau, puis pose une pédagogie avant qu’elle ne soit fixée par écrit, puis diffuse sur une échelle très large en 1917 en Pologne/ Etats Unis… Nous souhaitons donc donner un certain état d’un texte original, et aussi de les réinterroger dans leur signification pratique et leur adaptabilité au contexte d’aujourd’hui. Donc c’est un travail sur la terminologie. Il y a eu, il y a cinq ans, une nouvelle traduction anglaise de ce travail sur l’acteur par lui-même.
Ce qui est intéressant dans cette transmission, c’est de voir qu’il s’agit en fait de traités d’art qui font écho à beaucoup d’autres livres d’art. Une des personne qui transmet certains maillons, c’est Maria Knebel. C’est une de ses dernières élèves qui a été la première à diffuser les écrits et l’expérience dès 1948. Elle a formé plusieurs générations d’acteurs au GITIS notamment.
Elle leurs parlait du “sur objectif” ou du “super objectif”. Le sur-objectif c’est : pourquoi l’auteur a écrit cette œuvre. Et le super-objectif c’est : le pourquoi moi je veux travailler sur cette œuvre précisément.
Cette psychologie est une approche des textes que Stanislavski a mis en scène. Mais c’est plus que ça. C’est aussi une psychologie de la création. Qu’est ce qui se passe avec l’élève dans la création avec un désir de vérité sur ces questions ? (dimension tolstoienne encore) qu’est ce qui se passe en moi et dans le monde ? Toutes ces choses ont donné lieu à une formalisation, le socle, le référentiel de la culture. En Union soviétique, des metteurs en scène ont fait ça, ils ont même fait des programmes de formation sur 5 ans
Par exemple : une première année dans une école, c’est le travail sur la perception. Retrouver les capacités créatrices collectivement mais aussi apprentissage de la perception dans la vie (pas simplement sur scène).
Deuxième année, on travaille la perception de l’auteur pour les metteurs en scène (comment on perçoit le matériel littéraire) et seulement ensuite travailler dans un projet de spectacle le dessin de la pièce…etc.
On m’a demandé, lorsque je suis entré au GITIS, si je ne voulais pas aller à l’école de mise en scène…mais moi je voulais être acteur et j’ai dit non. Mais je ne savais pas qu’à l’école de mise en scène on jouait. C’était un cours de Fomenko, tous les élèves sont ensuite devenus les acteurs des spectacles de Fomenko.
La meilleure école de théâtre était celle qui se résorbait dans le théâtre auquel elle donne vie. Ce qui arrive chez certains collectifs.
Pour combattre le cliché de Stanislavski sur les écoles de théâtre, il est intéressant de savoir que la base de la formation théâtrale est toujours complétée par une approche technique de formation à la composition spatiale sur les œuvres d’art figuratives.
Sur la blessure au théâtre sur la mémoire émotionnelle (traduction sur les passages de la mémoire affective)
Tortsov était parti de Moscou, en tournée. Les cours s’étaient temporaiement arrêtés. L’interruption des cours a aussi interrompu la tenue de mon journal. Mais il s’est passé dans ma vie personnelle des éléments très important pour notre art en particulier pour la mémoire émotionnelle. Voici ce qui est arrivé. Il y a quelque temps, je revenais chez moi avec un mai sur une avenue. Une grande foule nous a barré la route. J’aime les scènes de rue. Aussi je me suis faufilé au premier rang. Là un vieux mendiant était étendu devant moi dans une grande mare de sang. Il avait la mâchoire brisée, les deux bras et la moitié d’un pied coupé. Le visage du défunt était effrayant. La mâchoire inférieure cassée, les dents pourries du vieillard étaient sorties de la bouche et gisaient à côté du visage ensanglanté… etc.
Le chapitre commence par qu’est-ce que refaire, et qu’est-ce que la mémoire physique de ça? Dans le livre, il est dit que le metteur en scène disparaît, il s’en va et le jeune élève reste seul avec cette question. Il n’a plus de cours, mais essaie d’avancer sur le sujet. Il est dit qu’il est alors témoin d’une scène de rue d’un accident de tramway assez effroyable et il note ses impressions.
Première impression fuir l’impression, la peur, l’effroi, le dégoût ; mais la nuit suivante est même épouvantable, il a peur.
Un ou deux jours plus tard il se remet à penser, la peur en lui a disparu. Le sentiment de dégoût s’est changé en indignation et même en une sorte de colère.
Une semaine plus tard la colère a disparu au profit d’une constatation, de la majesté du temps, des générations qui passent. Et du renouveau nécessaire.
Quelque temps après une autre image se substitue à celle du terrible accident. Une image plus ancienne d’une autre scène de rue, qu’il avait totalement oublié, plus ancienne qui vient du subconscient. Un homme penché sur un singe qui essayait de réanimer la bête avec une tranche d’orange qui faisait écho à la femme penchée sur le corps du cadavre disloqué qui avait percuté le tram, et qui pleurait. Et le bonheur de l’acteur de retrouver cette image dont il pourra se servir sur scène.
Stanislavski dit alors que pour la vie de l’acteur sur scène, il va falloir qu’il convoque la deuxième image et non la première mais que dans la répétition, il lui faudra trouver une autre image pour substituer la précédente. C’est la manière dont fonctionne la mémoire pour Stanislavski.
Fin de la matinée.
http://www.anpad.fr/wp-content/uploads/2015/12/anPad_slide-form.jpg244845adminadmin2015-12-14 10:57:112016-01-07 11:49:28LA FORMATION INITIALE DE L’ACTEUR DANS LES CONSERVATOIRES… des objectifs et de la méthode
journée de recherche de l’anPad auditorium du Conservatoire Charles Munch
7 rue Duranti 75011 PARIS Métro : Voltaire ou Père Lachaise 29 novembre 2015 de 10h00 à 17h00 LA FORMATION INITIALE DE L’ACTEUR DANS LES CONSERVATOIRES
DES OBJECTIFS ET DE LA MÉTHODE
matinée
10h : accueil
10h30-11h15 : Intervention de Bruno Tackels, Philosophe et critique de théâtre Le lien nécessaire entre pensée et travail de plateau
11h15-12h00 : Intervention de Nathanaël Harcq, Acteur et directeur de l’ESACT – Conservatoire Royal de Liège L’apprentissage des règles de l’art et la transformation des moyens de production
12h15-13h00 : Intervention de Stéphane Poliakov, Metteur en scène et maître de conférences (Paris 8) La formation de l’acteur et le geste de l’artiste-pédagogue La question des apprentissages fondamentaux et de la méthode à travers la figure de Stanislavski
après-midi
14h15-15h15 : Débats avec les trois invités
15h30-16h30 : Groupes de travail. Quels objectifs et quelles méthodes pour l’enseignement initial du théâtre ? Quels moyens pour enseigner le théâtre dans les conservatoires ?
16h30-17h00 : Restitution des groupes de travail et conclusion de la journée
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